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© 2012 Human Rights Watch

(Beyrouth) – Les autorités libanaises devraient autoriser la création d’un syndicat de travailleuses et travailleurs domestiques, qui ne bénéficient pas des protections fournies par le code du travail libanais, ont déclaré plus de cent organisations non gouvernementales aujourd’hui. Garantir le droit à la liberté d’association pour les travailleurs domestiques contribuerait à renforcer les mécanismes de protection juridique pour ces personnes, dont bon nombre font l’objet d’exactions au Liban.

Le 29 décembre 2014, six travailleurs libanais ont soumis une requête au ministère du Travail pour former ce syndicat. Avec le soutien de l’Organisation internationale du travail (OIT), de la Confédération Syndicale Internationale (CSI), et de la Fédération nationale des syndicats, des ouvriers et des employés au Liban (Fenasol), environ 350 travailleurs domestiques de diverses nationalités se sont réunis pour le congrès constitutif du syndicat le 25 janvier 2015. Mais les membres du syndicat ont indiqué qu’ils n’avaient reçu aucune réponse à leur requête, et le ministre du Travail Sejaan Azzi a dénoncé le syndicat comme illégal, selon les médias.

« Au lieu de rejeter la proposition de syndicat, le Ministre Azzi devrait tenir les promesses de longue date de protéger les droits des travailleuses et travailleurs domestiques, et traduire en justice les auteurs d’exactions contre les travailleurs domestiques migrants », a déclaré  Nadim Houry, Directeur adjoint pour le Moyen-Orient chez Human Rights Watch.  « Ces personnes, parmi les plus vulnérables du Liban, ont besoin de toute urgence d’une structure de protection afin de pouvoir promouvoir le changement et engager un dialogue productif avec le gouvernement et les employeurs. »

Le syndicat proposé inclurait les travailleurs domestiques ainsi que d’autres personnes employées dans les soins à domicile pour les personnes âgées et celles présentant des handicaps, les personnes employées dans le nettoyage des maisons et des bureaux, ainsi que d’autres catégories similaires.

L’article 7 du code du travail libanais, établi en 1946, exclue spécifiquement les travailleurs domestiques, aussi bien libanais que migrants, leur refusant des protections accordées à d’autres travailleurs. Les familles au Liban emploient environ 250 000 travailleurs et travailleuses domestiques migrants, essentiellement originaires du Sri Lanka, de l’Éthiopie, des Philippines et du Népal. Si l’article 92 du code du travail autorise certains travailleurs étrangers à se syndiquer ou à adhérer à des associations, le code a été interprété de manière à interdire l’adhésion à un syndicat pour les travailleurs et travailleuses domestiques, ainsi que d’autres travailleurs exclus du droit du travail. Selon l’article 92, tous les travailleurs étrangers se voient également nier explicitement le droit d’élire, ou bien d’être élus comme représentants syndicaux.

De ce fait, des milliers de travailleurs se sont vu refuser le droit à la liberté d’association et à la négociation collective, et les garanties juridiques sont insuffisantes pour les travailleurs migrants et certains travailleurs libanais, ce qui les rend vulnérables aux to abuse et à l’exploitation. Le Liban devrait traiter tous les travailleurs en accord avec le droit international des droits humains, qui exige de tous les pays le respect des droits de toute personne se trouvant sur leur territoire à la liberté d’association, sans discrimination, selon les organisations.

En plus d’un manque de protection du travail, les travailleurs et travailleuses domestiques sont soumis à des règles restrictives sur le plan de l’immigration basées sur le système libanais de kafala (parrainage), qui les expose au risque d’exploitation et leur rend difficile de quitter des employeurs qui les maltraitent. Le taux élevé de mauvais traitements et l’insuffisance de la réponse du gouvernement ont conduit plusieurs pays, dont l’Éthiopie, à interdire à leurs citoyens de travailler au Liban.

Les plaintes les plus fréquentes documentées par les ambassades des pays fournisseurs de main-d’œuvre et par les organisations non gouvernementales comprennent les mauvais traitements par les agents recruteurs, le non-paiement ou le paiement en retard du salaire, la séquestration sur le lieu de travail, le refus d'accorder du temps libre à la personne employée, le travail forcé et les violences verbales et physiques. Un rapport de Human Rights Watch de 2010 met en évidence le bilan médiocre du Liban s’agissant de sanctionner les abus commis contre les travailleuses domestiques.

Une travailleuse domestique migrante originaire du Cameroun appelée Rose et qui a participé au congrès constitutif a expliqué aux organisations que son employeur lui avait confisqué son passeport quand elle est arrivée au Liban et qu’elle était contrainte à travailler sept jours par semaine. Elle signe chaque année un contrat de travail dans un bureau notarial, mais il est rédigé en arabe aussi elle n’a aucune idée de ce qu’il dit.

« Quand j’ai demandé des détails à mon employeur, on m’a juste dit que c’était pour mon autorisation de séjour auprès de la Sécurité publique et rien d’autre », a-t-elle indiqué. « Les travailleurs, libanais et migrants, ont besoin de véritables contrats de travail qui respectent et garantissent nos droits. Nous appelons les membres de la société civile à s’exprimer contre ces violations et à nous aider à obtenir un changement. »

Kawthar, une Libanaise vivant à Beyrouth, a effectué du travail domestique pendant sept ans depuis la mort de son mari. « Mon employeur précédent me faisait travailler pendant de très longues heures et une fois il a refusé de me payer à la fin du mois, en disant qu’il était pauvre et n’avait pas du tout d’argent », a-t-elle déclaré. « Mais je savais qu’il mentait et qu’il essayait juste de m’exploiter. »

Kawthar a appris à se défendre et elle a maintenant de meilleurs employeurs. « Maintenant si quelqu’un me cause des problèmes, j’étais les outils pour me défendre », a-t-elle affirmé. « Je veux me servir du syndicat pour éduquer d’autres travailleurs sur leurs droits pour qu’ils puissent se défendre eux aussi. »

Mustapha Said, spécialiste senior des travailleurs à l’OIT à Beyrouth, a déclaré aux organisations lors d’un entretien que les travailleurs domestiques libanais également souffrent de conditions de travail difficiles et il a reconnu que cette question devrait recevoir davantage d’attention.

Une décision de la part du Liban de refuser aux travailleurs domestiques le droit de se syndiquer violerait les obligations de ce pays à l’égard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Liban est partie. Ses obligations au regard du PIDCP, y compris à l’égard des non-ressortissants sur son territoire, stipulent que « Toute personne a le droit de s'associer librement avec d'autres, y compris le droit de constituer  des syndicats et d'y adhérer pour la protection de ses intérêts. » Le pacte exige également que « L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions qui sont … nécessaires dans une société démocratique à la protection de l'intérêt public. » Le PIDCP exige que le Liban garantisse à toute personne se trouvant sur son territoire l’exercice de la liberté d’association, « sans aucun distinction. »

Selon la Déclaration des Nations Unies de 1998 sur les défenseurs des droits de l’homme, « Afin de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales», chacun a le droit « de former des organisations, associations ou groupes non gouvernementaux, de s’y affilier et d’y participer. »

En juin 2011, le Liban a voté en faveur de l’adoption par l’OIT de la Convention No. 189 sur le travail décent pour les travailleurs domestiques, la convention qui protège les travailleurs domestiques, mais n'a pas encore pris de mesures pour la ratifier ou pour se mettre en conformité avec elle. La convention de l’OIT établit les premières normes internationales pour quelque 50 à 100 millions de travailleurs et travailleuses domestiques à travers le monde. L’article 3 garantit aux travailleurs domestiques le droit à la liberté d’association.

D’autres éléments clés de la convention exigent que les gouvernements fournissent aux travailleurs domestiques des protections du travail équivalentes à celles des autres travailleurs, notamment un salaire minimum, la sécurité sociale, et le droit de conserver leurs passeports et documents d’identité ; le contrôle rigoureux des agences de recrutement ; et la protection des travailleurs contre la violence. Contrairement à d’autres conventions internationales, les règlements de l’OIT interdisent la ratification de conventions avec des réserves.

Le Liban devrait ratifier la convention no. 189 de l’OIT et mettre en application ses dispositions. Le Liban devrait également ratifier la Convention de l’OIT No. 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, qui stipule que « Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières. » Cette convention est l’une des huit conventions clés de l’OIT. Bien que le Liban n’ait pas ratifié la convention, il est engagé au regard de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux du travail de 1998 à respecter et soutenir des principes et des droits clés, notamment la liberté syndicale et le droit à la négociation collective, avant d’avoir ratifié les conventions pertinentes.

Le ministère du Travail a indiqué, selon les médias, qu’il est en train d’élaborer un nouveau projet de loi du travail, basé sur la convention no. 189 de l’OIT, mais les détails n’ont pas encore été rendus publics. En dépit d’annonces publiques réitérées de la part de responsables libanais qu’ils allaient améliorer les conditions pour les travailleuses et les travailleurs domestiques migrants, les réformes ont été insignifiantes.

Le gouvernement libanais devrait réviser le code du travail ou adopter une nouvelle loi pour protéger les droits des travailleurs domestiques et abolir le système de kafala, selon les organisations. Une nouvelle loi pour protéger les travailleurs domestiques devrait, au minimum, garantir l’égalité avec tous les travailleurs compris dans le droit du travail. Ces mesures devraient également garantir le droit à la liberté syndicale et à la négociation collective sans discrimination à tous les travailleurs.

« Les travailleurs migrants obtiennent un visa avant de venir au Liban, et ils vivent et travaillent ici de façon légale, alors pourquoi leur refuser leur droit fondamental à se syndiquer ? » a déclaré Castro Abdallah, président de la Fédération nationale des syndicats, des ouvriers et des employés au Liban.

Les syndicats et les organisations de travailleurs ont contribué à impulser l’amélioration de plusieurs lois du travail et leur application pour les travailleurs domestiques dans de nombreux pays, notamment des protections sur le salaire minimum, les heures de travail, les périodes de repos, la sécurité sociale et le recrutement.

La CSI indique avoir enregistré la formation de nouveaux syndicats de travailleurs domestiques dans 12 pays au cours des trois dernières années : au Pakistan, au Chili, au Paraguay, en République Dominicaine, au Guatemala, au Costa Rica, au Sri Lanka, en Colombie, en Égypte, au Swaziland, en Angola et au Brésil.

La Fédération Internationale des travailleurs domestiques comprend 55 organisations et syndicats affiliés de travailleurs domestiques, notamment de pays dont sont originaires les travailleurs qui viennent au Liban, comme le Népal, l’Indonésie et les Philippines. Il existe également de nombreux autres syndicats ou organisations de travailleurs qui incluent les travailleurs domestiques parmi leurs adhérents. Le Liban serait en désaccord avec l’élan mondial croissant relatif à la syndicalisation des travailleurs domestiques s’il refusait de reconnaître le nouveau syndicat, ont conclu les organisations.

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Organisations signataires :

  1. ALEF- Act for human rights

  2. Amnesty International

  3. Anti-Racism Movement (ARM)

  4. Centre for Lebanese Studies

  5. Federation of Trade Unions of Workers and Employees (FENASOL)

  6. Union of construction workers

  7. Union of the Bekaa

  8. Union of hotels workers

  9. Union of printing workers

  10. Union of textile workers

  11. Food workers union

  12. Union of bakery workers

  13. Committee of the agriculture workers in the South

  14. Committee of Fishermen Syndicate in Saida

  15. Syndicate of painting workers

  16. Committee of the workers in "VAL" company

  17. Committee of the workers of ministry of finance syndicate

  18. Syndicate of tile workers

  19. Union of domestic workers.

  20. Front Line Defenders

  21. Human Rights Watch (HRW)

  22. International Crisis Group (ICG)

  23. International Domestic Workers Federation (IDWF)

  24. FILCAMS CGIL , Italy

  25. National Domestic Workers Alliance (NDWA), USA

  26. Jamaica Household Workers Union, Jamaica

  27. Centro de Apoyo y Capacitación para Empleadas del Hogar CACEH, Mexique

  28. Hong Kong Federation of Asian Domestic Workers Unions (FADWU), Hong Kong et organisations affiliées:

  29. Hong Kong Domestic Workers General Union (HKDWGU),

  30. Progressive Labour Union of Domestic Workers in Hong Kong (PLUDW-HK)

  31. Union of Nepalese Domestic Workers in Hong Kong (UNDW-HK)

  32. Thai Migrant Workers Union (TMWU)

  33. Overseas Domestic Workers Union (ODWU)

  34. National House Manager Cooperative (NHMC), Corée du Sud

  35. National Domestic Workers Federation (NDWF), Indie

  36. National Domestic Workers Movement (NDWM), Indie

  37. Home Workers Trade Union of Nepal (HUN), Népal

  38. National Domestic Women Workers Union (NDWWU), Bangladesh

  39. Jala PRT, Indonesie, avec :

  40. Serikar PRT Tunas Mulia, Indonésie

  41. KOY, Indonesie

  42. Serikat PRT Merdeka, Indonésie

  43. Serikat PRT Sapulidi, Indonésie

  44. Serikat PRT Sumut, Indonésie

  45. IPROFOTH instituto de promocion y formacion de trabajadoras del hogar, Pérou

  46. FENTRAHOGARP federacion nacional de trabajadoras del hogar. Pérou

  47. CCTH centro de capacitacio de trabajadoras del hogar, Pérou

  48. Network of Domestic Workers in Thailand, Thaïlande

  49. Cambodia Domestic Workers Network (CDWN), Cambodge

  50. South African Domestic Service and Allied Workers Union (SADSAWU), Afrique du Sud

  51. Conservation, Hotels, Domestic and Allied Workers' Union (CHODAWU), Tanzanie

  52. Conservation, Hotels, Domestic and Allied Workers' Union (CHODAWU), Zanzibar

  53. Uganda Hotels, Food, Tourism & Allied Workers Union (UHFTAWU), Ouganda

  54. Commercial, Industrial & Allied Workers Union (CIAWU), Malawi

  55. Zimbabwe Domestic and Allied Workers Union (ZDAWU), Zimbabwe

  56. SYNEM - Syndicat National des Employés de Maison , Guinée

  57. Kenya Union of Domestic,Hotels,Education Institutions,Hospitals and Allied Workers (KUDHEIHA), Kenya

  58. Domestic Services Workers Union (DSWU), Ghana

  59. SYHEHM, Bénin

  60. National Trade Union of Domestic Workers (SINED), Mozambique

  61. Domestic Workers Union of Burkina-Faso, Burkina-Faso

  62. SAHDAR, Indonésie

  63. LAP Damar, Indonésie

  64. LBH Jakarta, Indonésie

  65. LBH Apik Jakarta, Indonésie

  66. FSPSI Reformasi, Indonésie

  67. Solidaritas Perempuan, Indonésie

  68. RUMPUN Tjoet Njak Dien, Indonésie

  69. Perisai, Indonésie

  70. LAP Damar, Indonésie

  71. KAPPD, Indonésie

  72. Mitra ImaDei, Indonésie

  73. KAPAL Perempuan, Indonésie

  74. RUMPUN Gema Perempuan, Indonésie

  75. Domestic Workers Rights Network (DWRN), Bangladesh

  76. SINTRAHOGARP sindicato nacional de trabajadoras del hogar del PERU TIVO DE ORGANIZACIONES Y SINDICATOS DE TRABAJADORAS DEL HOGAR DEL PERU

  77. FEDERACIÓN DE TRABAJADORA DOMESTICAS “JULIA HERRERA DE POMRES” NICARAGUA.

  78. International Trade Union Federation (ITUC)

  79. BMSF, Bangladesh

  80. KSPI/CITU, Indonésie

  81. Australian Council of Trade Unions (ACTU). Australie

  82. All Nepal Federation of Trade Union (ANTUF), Népal

  83. Chinese Federation of Labour (CFL), Taiwan

  84. Konfederasi Serikat Buruh Sejahtera Indonesia (KSBSI), Indonésie

  85. Fiji Trades Union Congress (FTUC), Fidji

  86. FTUC Women’s Committee, Fidji

  87. Hong Kong Countil of Trade Unions (HKCTU), Hong Kong

  88. Trade Union Congress of the Philippines (TUCP), Philippines

  89. Vanuatu Council of Trade Unions (VCTU), Vanuatu

  90. Sri Lanka Nidahas Sweaka Sangamaya (SLNSS), Sri Lanka

  91. Sabah Commercial Employees Union, Malaysie

  92. All Pakistan Trade Union Congress, Pakistan

  93. Thai Trade Union Congress (TTUC), Thaïlande

  94. FKTU, Corée du Sud

  95. NZCTU, Nouvelle Zélande

  96. SENTRO, Philippines

  97. United Domestic Workers of the Philippines

  98. International Union of Food, Agricultural, Hotel, Restaurant, Catering, Tobacco and Allied Workers’ Associations (IUF-UITA-IUL)

  99. KAFA (enough) Violence & Exploitation

  100. Centre libanais des droits humains (CLDH)

  101. Legal Agenda

  102. Migrant Community Center (MCC)

  103. Migrant Workers Task Force (MWTF)

  104. Tamkeen Fields for Aid

  105. Association Justice Et Miséricorde (AJEM)

  106. Frontiers Ruwad

  107. Lebanese Center for Policy Studies (LCPS)